01/04/2014

Philippe Pierlot raconte : Bel Effort (2)

Je me disais qu'on partait pour quelque gueuleton dont le Président de Belfort-Echecs était coutumier, comme chacun savait. N'était-il pas capable de faire des dizaines de Km pour aller déguster son mets préféré, la tarte aux myrtilles sauvages ? Chouette, un bon repas ! Ça fêterait aussi mon arrivée et me montrerait à quel point les Francs-comtois étaient accueillants. C'était super sympa, et je l'avais bien mérité. Il y avait dans la voiture, 2 copains de Jean-Paul qui étaient eux aussi tout contents d'être là.

La grosse berline se mit à vrombir et démarra d'une roue décidée. Je ne pus me contenir longtemps et je demandai à Jean-Claude quelle était notre destination. C'est là que mes rêves de rêves se sont évaporés. "Bah mon copain, on fa faire un tournoi d'échecs !" (Je me rappelle plus du bled). C'était pas vrai ! Tout sauf ça ! Pensais-je...
Ha super ! Formidable ! dis-je en songeant qu'après une journée de 100 Km à vélo, dont quelques dizaines sous la pluie à un train de malade, j'aurais quand même pu prétendre à m'étendre. En plus, j'avais drôlement faim... Mais il ne fallait pas traîner, car le tournoi se situait à une heure de route de là.

C'était un tournoi du soir. Vers une heure du matin, ce serait fini... Youpi ! Moi qui avais précisément envie de jouer une nocturne pendant mon temps de récupération. C'était l'agonie assurée...
Dans la voiture, le chemin me paraissait long quand je reprenais conscience par intermittences et que je me demandais : où suis-je ? Ha oui, je suis en sécurité dans la belle voiture de Jean Paul Touzé. Puis je me rendormais. Au bout d'un temps que je ne pus jamais mesurer, nous arrivâmes dans un endroit bizarre, une petite bâtisse blanche avec de nombreuses petites salles dans lesquelles il y avait des tables avec des échiquiers dessus. Les joueurs présents étaient arrivés de partout, tels les membres d'une secte secrète. C'était là le signe que les échecs étaient très populaires dans la région. Il régnait une ambiance très bon enfant. Les gens étaient détendus et je n'ai pas tellement remarqué de pression particulière. De toute façon, ma rage de vaincre était restée quelque part sur la route, dans les derniers instants de mon périple. Pour reprendre quelques forces, je crois bien que j'ai mangé des gâteaux, mais je ne sais plus d'où ils venaient. D'une aumône, sans doute.

Porté par des anges, je fis un tournoi aérien. Je me rappelle m'être cogné contre des pylônes ou avoir plongé avec bonheur dans le molleton des nuages. Rien ne me fut désagréable, j'étais dans un état insensible. La défaite et la victoire aux échecs n'ont plus la même saveur après 100 bornes à vélo, 2 bonnes douches et 60 nouvelles bornes de taxi. Je suis demeuré dans cette insensibilité de bout en bout, y compris lorsque j'ai battu Maître Touzé qui s'était retrouvé par une coïncidence qui ne m'étonnait plus, face à moi vers la 4ème ronde. Je ne me rappelle plus comment j'ai fait et je ne peux l'expliquer, car il était plus fort que moi et il était très motivé par ce tournoi. Mais je me souviens qu'il n'en a pas paru affecté le moins du monde. J'ai mis sa réaction calme et sportive sur le compte du savoir-vivre et de l'hospitalité du personnage. Le tournoi se termina dans la nuit et dans la bonne humeur et nous repartîmes dans une chorale de : "A pientôt ! " ou " Ponsoir tout le monte !" Je fus pour ma part extrêmement vigilant dans ce désordre à ne pas être oublié, moi qui n'avais pas la moindre idée de l'endroit où je me trouvais !

Après coup, en y repensant, ce comportement de gentleman m'a beaucoup marqué, ainsi que la belle générosité qu'il avait avec ses amis ! Surtout envers moi qui n'étais qu'un copain de passage !
Le lendemain, dans les locaux du célèbre club de Belfort, nous déjeunâmes ensemble ce que sa fille nous avait préparé et amené sur un plateau. Tout était organisé avec précision. L'emploi du temps, la gestion administrative, les moments d'accueil, les compétitions internes et externes. Ce devait être un grand honneur de participer à la vie de ce club, alors que dans de nombreuses associations, on peine à attirer par des ruses malicieuses quelques bonnes volontés. Si j'avais habité le secteur, je n'aurais pas résisté à m'investir. Je comprenais comment il avait une telle équipe derrière lui.
Je fus enchanté par ce séjour qui se prolongea encore un peu, puisque ma chambre d'hôtel fut payée une nuit de plus. Mais il ne fallait pas que je traîne trop en route, sinon, je serais de nouveau dans l'obligation de fournir de gros efforts pour rejoindre Auxerre en temps et en heure. Ce championnat de France fut d'ailleurs pour moi une belle réussite, puisque j'y ai terminé 7ème sur 180 dans l'Open B ! Ça situe le niveau, tout relatif, mais j'étais en grande forme...
 
Après cette histoire, j'ai croisé Jean-Paul Touzé plusieurs fois. Si l'envergure du personnage m'a véritablement impressionné, il ne fait aucun doute que lui aussi a été marqué à vie par l'image d'un type qu'il avait vu débarquer un jour chez lui, à vélo par temps d'orage. Il n'avait jamais oublié ça et me lançait à chaque fois qu'on se revoyait un : "Salut Philippe, t'es pas fenu en félo cette fois ?" Je lui répondais : "non, pas cette fois, mais méfie-toi..."

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