Mesdames,
messieurs, c’est officiel : ce dimanche 25 novembre, une équipe est née.
Mais pas n’importe quelle équipe. Une équipe de guerriers, de gladiateurs des
temps modernes, de jedis des 64 cases. Ce dimanche, nous avons conquis notre
plus belle victoire à ce jour en défaisant la redoutable équipe cristolienne.
Pour
vous donner un avant-goût, regardez ce chiffre : 5. Alors ? Make a guess. Non ce
n’est pas le nombre de points que j’ai marqué depuis le début de la saison (même
si ça me flatte que vous ayez pu le penser, mais soyez raisonnables, nous
n’avons encore joué que 4 rondes. Merci quand même). Non ce n’est pas le nombre
de coups de théorie que connaît Pierre-Louis sur d4 (ça s’arrête à 1.Cf6 ou
1.d5). Ce n’est pas non plus le nombre de fois que Cap’taine Vince a checké
l’itinéraire de chez lui à Créteil pour être sûr de ne pas se planter pour une
fois (je suis sûr qu’il avait son GPS dans la poche au cas où on se paumerait
sur le trajet de 1km en ligne droite depuis l’épisode-de-vous-savez-quand…).
Non 5, c’est le nombre de podiums aux championnats de France qui étaient réunis
dans la salle au début de la ronde. 4 pour nos adversaires (dont un titre de
champion 2012 pour Fahim Mohammad), et un pour nous avec le retour en fanfare
de Jackus Blitzus Cigarius.
Pour
cette belle rencontre, un voyage initiatique fut nécessaire. Rendez-vous dans
le métro, ligne 8 pour un périple qui allait s’étaler sur de nombreuses
stations. Clémentus Tacticus Astrophysicus, les yeux pleins d’étoiles, nous
avouait même qu’il vivait là sa plus belle épopée avec la RATP. Pour certains,
comme le cap’taine Vincius Césarius D6cius (les amateurs de son style
inimitable comprendront…), c’était l’occasion de découvrir une autre vision de
la France, lui qui n’a jamais connu que le 12e arrondissement après
son départ de sa Brie natale. Après moult arrêts, nous arrivons donc à Créteil.
Le temps d’une ballade champêtre le long de la 4 voies, et nous voici au milieu
des tours. La salle est agréable, et l’équipe est au complet. Enfin presque.
Arrivé plus ou moins dans les temps à la station de métro de Créteil, Michaelus
Maitrefidus Jailoupélbus, lui, a décidé de prendre le bus à la sortie du métro.
Et puis après 30 min d’attente désespérée pour s’éviter 1km de marche il s’est
dit que, quand même, ça serait trop bête de perdre sur tapis vert juste pour
avoir le plaisir d’engueuler le chauffeur retardataire. Il faut dire qu’un
sprint avant de commencer une partie, ça donne un bon coup de sang et ça
impressionne l’adversaire.
Breeeeeef,
la ronde démarre à l’heure, sans Michaelus qui est en train de courir sur la
bande d’arrêt d’urgence en slalomant entre les voitures, mais avec la fine
équipe au quasi-complet. Au 2e échiquier, Marcus Fourbus Gloutonus
fait face à l’éleveur de champions cristoliens, Xavier Parmentier. Au 3, c’est
Jackus qui s’y colle avec les noirs face au redoutable Dal Borgo. Au 4,
Clémentus a la lourde tâche d’affronter Louis Pruvot, double podiumé des
championnats de France jeunes. Albanus Canarius Bilbonus est au 5, face à un
adversaire un peu plus fort. Alexandre le Grand est au 6, il rencontre un jeune
adversaire de sa force. Vincius, au 7, a eu le tirage piège face au champion
Fahim. Au 8, Marianna Vénus Annulatus, affronte également une podiumiste des
derniers championnats de France Jeune.
Pour
une fois, le match démarre bien. Et je dirais même plus, personne n’est mal,
même si on s’inquiète pour Jackus qui se prend pour un toréador et agite le
chiffon rouge devant le museau de son adversaire avec un développement plus
qu’aléatoire (voire inexistant) et qui fait présager le pire. Rapidement, c’est
notre gladiateur le plus féroce qui s’acharne sur son malheureux adversaire.
Cela ne fait pas 2h que l’on joue, et déjà Alexandre le Grand (qui n’avait rien
d’un gladiateur en son temps mais on n’est pas à une incohérence près) a
sauvagement décapité tous les poneys adverses. Une pièce de plus, sans aucune
compensation pour son adversaire, la messe est dite. Il sera gracié des deux
pouces par le public (pas par SMS, hein, les jeunes). Toujours 100% pour
Alexandre, tant d’aisance frise l’insolence.
Pour
le reste, les parties sont compliquées et si on est plutôt bien, tout ça tarde
à se décanter. Après 10 coups, Michaelus a largement refait son retard à la
pendule et ça fait déjà 5 coups qu’on a fermé les derniers livres d’ouverture.
Personne ne comprend vraiment sa position, mais il a l’air d’être confiant. Ça
rassure. Ou pas d’ailleurs. Les plus grands talents sont toujours restés
incompris, soi-disant… De mon côté, je réfléchis longtemps, frustré de n’avoir
absolument rien tiré de l’ouverture. Et puis j’aime pas être en avance au
temps, c’est tout. Je décide de ne rien faire, mais de le faire bien. J’ai une
position solide, et si mon adversaire veut passer, il devra se découvrir à un
moment ou à un autre. Pause football : « On a bien suivi les
consignes du coaaaach, on est resté bieeeeeen groupés en défeiiinse, et on a
procédé en coooontre. A partir de là, au jour d’aujourd’hui, fatalement,
l’adversaire s’est projeté vers l’avant et à la première occasion on a
plaaaanté un vieux but de raccroc. Mais l’essentiel c’est les 3 points, et
c’est avant tout l’équipe et le travail du coaaaaach, aiiinsi que les
supporters et le maire de Gazouillis-les-greluches qu’il faut saluer. ».
Vous l’aurez compris, après 35 coups sans panache, je profite d’une boulette de
mon adversaire pour piquer une pièce sèche. Comme un gros fourbe J.
L’importaaaaaant, c’est les 3 points on vous a dit.
De son côté, Clémentus Tacticus Astrophysicus est en plein
combat. De ceux dont un des deux guerriers ne se relèvera pas. Après avoir
bafoué à peu près tous les principes de l’ouverture (je donne la paire de fous,
je double mes pions, je les isole, je joue 2 fois toutes mes pièces, les baffes
se perdent ma p’tite dame…), il est temps de faire un premier bilan. Et là,
force est de constater que, malgré la difficulté que j’ai à admettre cette
évidence, les blancs sont mieux. Ils contrôlent toutes les colonnes ouvertes ou
semi-ouvertes, et les noirs n’ont encore rien développé. Signe qu’il y a un
vrai problème, les noirs finissent par grand-roquer du côté cimetière, et là,
tout à coup, dans un vacarme Wagnerien, comme un nuage de sauterelles de
l’apocalypse now s’abat sur un champ de maïs transgénique, les blancs fondent
sur l’aile dame dévastée. Assiégés par les poneys d’assaut de Clémentus, les
noirs ne résisteront pas longtemps, et rendent les armes après un faites-vous
la main 2 étoiles mais fort bien amené par notre guerrier. A peine 20 coups et
un 3e point qui nous rapproche de plus en plus de la victoire.
A ma droite, ce bon vieux Jackus Blitzus n’était pas à la
fête. Malgré une confortable avance à la pendule, sa position ne fait pas rêver
mais tient. Mais ne fait pas vraiment rêver... Mais bon ça tient. Tant et si
bien que son adversaire commence à perdre patience et le nord, et laisse les
noirs trouver un contre-jeu miraculeux contre le grand-roque blanc. Attaquant
minimaliste, esthète du réseau de mat à matériel réduit, Jackus parvient à
semer le trouble avec un pion et une dame et annihile progressivement toute
initiative blanche. Il finit même par devenir complètement gagnant, mais c’est
alors que l’improbable se produit. Alors que son adversaire joue avec à peine
plus que l’incrément, notre Jackus, shooté à l’adrénaline et sentant l’odeur du
sang sur l’échiquier, prend les 32 minutes qui lui restent pour des secondes et
se lance dans un blitz endiablé, oubliant de noter les coups, au grand
désespoir de son adversaire qui ne comprend pas la panique de Jackus et
s’époumone en tentant de lui rappeler de noter ses coups. Après un zeit not
plus que tendu, la poussière retombe et l’heure est au comptage des points. Ça
fait beaucoup trop en faveur de notre soldat, et l’adversaire capitule. Déjà
4-0 pour l’équipe !
A quelques pas de là, Vincius Césarius D6cius s’amuse. Il
tricote. Il est venu me voir au début de la ronde en m’avouant, presque
soulagé : « c’est bon Marcus, j’ai joué 1.d6, pfiouuuu je me sens
mieux». Rassuré mais aussi perplexe face à une telle déclaration, j’observais
alors l’évolution de cette partie étonnante, sorte de Trompovsky inversée où
les blancs n’auront de cesse de défendre leur pion faible en d4. En bon
capitaine et partenaire, Vincius sait que sa nulle nous assurera le gain du
match, aussi ne prend-il aucun risque. Après un f5 ! mémorable, qui n’est
pas sans rappeler le fameux « autobus devant les cages » du Chelsea
de l’ère Mourinho, Vincius se met en position d’attente et observe son
adversaire à travers les meurtrières, du haut de son +1.00 (dixit la bête). Ça
sera dur de la perdre celle-là, et ce qui devait arriver arriva… Malgré les
exhortations de son capitaine, Fahim n’a aucun moyen de percer la position
noire, et se résigne à proposer la nulle. Vincius, qui se délecte encore de son
léger avantage positionnel, hésite à se séparer de cette position prometteuse
et accepte afin d’éviter la vindicte populaire. Le match est plié, 4-0 et il ne
reste que 3 parties !
Au 5e échiquier, Albanus Canarius Bilbonus est
d’humeur pacifique. Depuis le début de la ronde il danse le paso doble avec son
partenaire, les chaînes de pions se collent, s’entrelacent, on aurait presque
voulu les laisser tous les deux. « Eh oooh, ch’ai pas touchéééoooo ».
Des contacts mais pas d’échange, vas-y que j’te mets la pression mais pas trop,
tout en self-control. Albanus a les noirs, et face à un adversaire prudent, se
satisfait de cet équilibre des forces. Après un h5 placé au bon moment dans la
finale, toutes les portes sont fermées. No pasaran. Drapé dans son maillot
nantais, Albanus reste une valeur sûre de ce début de saison, avec 2 nulles et
une victoire au compteur.
Nous avions presque oublié Marianna Vénus Annulatus, qui a
elle aussi mené un vrai combat. Après avoir tenté de ligoter les noirs, elle a
commis quelques imprécisions qui l’ont conduite dans une finale inférieure.
Mais nous en viendrions presque à croire qu’il s’agit là de sa spécialité. Elle
qui nous avait fait vibrer jusqu’au bout du suspense lors de notre victoire
décisive face au Grand Echiquier l’an dernier, qui nous a époustouflés de sa
classe en finale de tours face à Issy, défend ici une finale très difficile
avec le fameux couple D+F contre D+C, avec un pion de moins s’il vous plaît. Je
ne sais pas trop comment cela se termine, mais sa détermination aura fini par
payer. Et ça fait toujours 4-0…
Reste enfin notre colosse, Michaelus Maitrefidus
Jailoupélbus, qui pendant toute la partie n’aura eu de cesse de nous montrer sa
profonde compréhension du jeu. Dans une position peu claire après l’échange des
dames, Michaelus a rapidement été confiant sur l’issue du combat. Le caractère
très atypique de la position m’empêchait de juger qui était mieux ou pas, mais
je serais curieux de connaître l’avis de la bête tant les déséquilibres étaient
importants. Du pion blanc passé en d5 au cavalier blanc incrusté en c6, rien
n’y fit. Les noirs procédèrent méthodiquement au pilonnage de l’aile roi avec
leur majorité de pions et traversèrent le zeit not avec la plus grande
dextérité, ce qui leur permit de concrétiser leur avantage en transposant dans
une finale F+T contre F+T avec pion de plus. L’activité blanche nous laissait
présager d’une longue bataille de cases entre les 2 joueurs, mais là encore,
Michaelus avait vu plus loin. A peine 10 coups après le contrôle du temps et
les blancs rendaient les armes, vaincus. Et de 5 !
A l’issue des courses, cela fait donc 5 victoires (dont un
4-0 aux 4 premiers échiquiers !) et 3 nulles, pour un score final de 5-0.
Un match qui aurait dû être plus serré, mais chacun dans son rôle est parvenu à
assurer. 3,5/4 avec les blancs, 3/4 avec les noirs. Propre. On félicitera au
passage le coaching de l’empereur Vincius Césarius D6cius, qui avait pris soin
d’apporter de nouveau Côté viande, la mascotte de l’équipe !
Avé !
Marcus Fourbus Gloutonus