Paris. Le soleil
brille presque en ce dimanche 13 octobre. Il est 11h15, tout le monde
est à l’heure. Fier comme s’il avait obtenu le titre de
Marshall, le capitaine ouvre la marche au volant de sa Vincemobile
flambant neuve. Avec le renfort de Thibaud (alias Gammon) et de Bruno
(alias El Solapado, « le sournois »), l’équipe 1 n’a
pas à rougir de sa composition pour démarrer la saison. Nous
partons donc le moral gonflé à bloc vers les terres hostiles du
nord, où 1000 dangers nous guettent. D’ailleurs, à peine la
frontière du 62 passée, le déluge s’abat sur nous. La route est
liquide, les murs sont gris, les volets fermés, pas de doute nous
sommes sur le bon chemin. Nous nous arrêtons en « centre-ville »
d’Hénin. Entre kebab et dwich au thon, l’équipe se restaure et
parvient tant bien que mal à la salle de jeu. Tout est prêt, et le
CAFE EST GRATUIT, MERCI. On s’installe, chacun à sa place. Tout se
déroule bien, mis à part mon adversaire qui n’écrit pas mon nom
mais celui du prince Manouk sur sa feuille de match. Je le contrains
avec aplomb de raturer sa feuille, avant de m’apercevoir qu’il ne
s’était pas trompé… Je joue table 2 comme indiqué dans le mail
du capitaine et non table 3, ce qui met donc instantanément 2
semaines de préparation à l’eau.
Et maintenant
Plaaaaaaaaaaaace au jeu ! Et au coup d’envoi, le match
s’annonce serré. Enfin serré tendance on-pourrait-prendre-cher si
ça se goupille mal.
Au premier, Mike a
hérité d’un gros tirage avec Petitcunot, un joueur à plus de
2400. Rapidement, les deux joueurs annoncent la couleur. Roque opposé
dans la sicilienne, on s'ennuie rarement. Les blancs massent leurs
pièces au centre, ce qui ne semble pas perturber notre champion, qui
tel un requin en extase devant un ban de surfeurs de la Réunion,
traque immédiatement sa proie et transfère la totalité de ses
pièces vers le roi adverse. « Target acquired ». Une
chose est sûre, ça va péter. Et il ne vaudra mieux pas être dans
les parages au moment du feu d'artifice.
Au second, je joue
un des 2200 adverse. Blasé par les éléments précités, je décide
de rentrer dans ma prépa avec les couleurs inversées. Oui, vous
l'avez compris, j'aurais préféré être à la place de mon
adversaire dans cette partie. Aucune autre logique que celle de la
frustration et du pétage de plomb. J'obtiens une position
intéressante, mais qui risque de basculer rapidement si je ne joue
pas des coups d'attaque précis. Comme à la table 1, les noirs
massent leurs pièces sur mon roi, tandis que j'entame un ballet
artistique sur la colonne a qui n'aura que le mérite d'affaiblir
légèrement un coin de l'échiquier où il n'y a rien à manger...
Au troisième, le
prince Manouk est venu nous prêter main forte, et pour une fois il
nous gratifie d'une ouverture dynamique !!! Non j'plaisante.
Ceux qui y ont cru prennent la porte merci. Mais je suis dur.
Évoluant pourtant avec les noirs, ce ne sont pas 1 mais bien 2 PIONS
qu'il place d'entrée de jeu sur la 5e rangée. Comme pour montrer à
son adversaire qu'il ne compte pas faire de la figuration pour ce
match d'ouverture. Dans ce duel de gentlemen, les blancs ont bien
compris à qui ils ont à faire, et n'attaquent pas frontalement pour
ne pas froisser la partie adverse. Ils passent tranquillement par
l'aile dame, et laissent le centre aux noirs. Alors, pour ne pas
gâcher tout cet espace dont il est généralement privé pendant ses
parties, Manouk entreprend d'ouvrir la position, mais cela coûte au
suisse un affaiblissement très désagréable sur les cases noires.
Heureusement, alors que les faiblesses noires commençaient à se
faire ressentir, l'adversaire de Manouk répète une fois, puis deux
fois la position. N'écoutant que son courage et sa détermination,
le guerrier hélvète enterre immédiatement la hache de guerre d'une
main et tend l'autre vers son adversaire. Une bonne nulle entre deux
joueurs de force équivalente, qui ne ne permet absolument pas d'y
voir plus clair dans ce match.
Au 4e, la lame
alsacienne est arrivée très affûtée. Adepte des ouvertures
tranchantes, elle opte étonnamment pour un début très rampant.
Limite gluant. Voire pire, symétrique. Alors que les noirs
résolvaient tranquillement leurs problèmes d'ouverture en entamant
un choc de simplification au centre de l'échiquier, ils échangent
inexplicablement leur fou noir. Il n'en faut pas plus à la lame pour
lancer les hostilités. Dans une position toujours symétrique tout
en étant déséquilibrée, les blancs forcent les noirs à
s'affaiblir un peu plus à chaque coup afin de ne pas se faire mater.
Les noirs sont au bord de la rupture, et l'absence du Fg7 sera
rapidement fatale. Le Stahl nous ramène un gros point qui fait du
bien, et s'octroie sa première belle perf de la saison.
Au 5e, c'est la
deuxième phalange de la charnière alsacienne qui est à la
baguette. Gammon est heureux d'être là et ça se sent, il envoie du
beau jeu le gosse. Une trompovsky qui se transforme rapidement en
Benko, et les noirs qui semblent totalement phagocyter le centre
blanc en l'assaillant de toutes parts. Tel un véritable joueur de
go, Gammon encercle l'armée blanche et récolte patiemment les
petits pions adverses. La qualité donnée ne sera que temporaire, et
après un tour de passe-passe qu'aucun des deux joueurs n'a vraiment
compris, les noirs transposent dans une finale totalement gagnante
avec F+C contre tour. Un point facile, se dit-on alors...
Au 6e, c'est El
Salapado, notre 2e recrue de la saison qui est à la manœuvre. Ne
vous y trompez pas. Sous ses airs d'ours bourru se cache un
redoutable guerrier qui sait faire fructifier les petits avantages.
Il aime d'ailleurs faire durer ses victoires, laissant suffisamment
de jeu à ses adversaires pour maintenir leur instinct de survie
intact. Et c'est la que le plaisir commence pour lui. Pour ce
premier match sous ses nouvelles couleurs, une ouverture « tricky
tricky » lui permet de prendre rapidement l'ascendant, mais son
adversaire, coriace, tient bon la barre dans la tempête. Qu'importe,
El Salapado est dans son élément. Il tisse lentement sa toile,
imperturbable, et l'on sent poindre un regard malicieux sur son
visage. Il sait que le piège est tendu et qu'il se referme
lentement, et attend patiemment le moment où son adversaire
écarquillera les yeux de terreur alors qu'il sera déjà trop
tard...
Cap'tain Vince est
au 7e, fidèle à son choix de couleur fétiche. Partagé entre ses
schémas de jeux favoris et son désir de victoire (l'un étant, vous
l'aurez compris, incompatible avec l'autre), il se fait violence et
opte pour un fianchetto. Quelques imprécisions plus tard, le voilà
au bord de la rupture, mais sa rage de vaincre est intacte. Il se
souvient alors de toutes les poubelles qu'il a sauvées au cours de
sa carrière échiquéenne et se dit qu'après tout, sa position
actuelle n'est pas si grave que ça. Il reprend du poil de la bête,
et fait douter son adversaire. Celui-ci propose alors un judicieux
échange de sa paire de fous contre une tour en a8, ce que le
capitaine s'empresse d'accepter. Après avoir laissé passer l'orage
(à vrai dire il faudrait plutôt parler d'ondée), Vince digère
l'avantage des 2 fous pour la tour et prend son temps pour
concrétiser. Il met en place la fameuse stratégie alsacienne de
l'attaque a-h, en ouvrant successivement les colonnes extrêmes de
l'échiquier. C'en est trop pour son adversaire, qui à force de
contrôler ces attaques latérales finit par se faire transpercer par
une attaque de front. Une victoire nette et sans bavure du capitaine,
qui donne l'exemple dans ce match, et rassure l'équipe.
Enfin au 8e, c'est
Nahid qui nous prête main forte pour ce début de saison. Elle
affronte une adversaire à sa portée, dans un gambit dame rondement
mené dans l'ouverture. Une fois l'initiative blanche estompée, on
sent néanmoins que l'absence de plan la fait tergiverser, et elle
finit par tenter un passage en force au centre de l'échiquier.
Embrouillée dans les complications à l'approche du zeit not, la
voici contrainte d'abandonner un poney au bord de la route. C'est
alors que la partie rentre dans une phase baroque, étrange,
quasi-mystique... Une finale qui restera dans les mémoires. Alors
que son adversaire joue avec 2 poney contre 1, elle décide d'en
sacrifier un pour aller à dame. Nahid sent l'entourloupe, et croûte
l'équidé adverse sans coup férir. Raté. Troublée par le froid
réalisme iranien, l'adversaire de Nahid décide alors de sacrifier
un SECOND PONEY ! Repue de son repas et satisfaite de son
égalisation matérielle, notre joueuse décide alors, dans sa grande
mansuétude, de laisser la vie au pauvre poney sacrifié. Elle
gagnera sans, se dit-elle. Et la finale de continuer, à cavalier
pions contre cavalier pions, mais avec un pion a passé éloigné
très dangereux pour Nahid.
Après les
victoires rapides de Vince et Stahl, je suis parmi les premiers à
terminer. Hélas ma partie s'achève par un abandon. Après avoir
bien défendu, je finis par bouletter à 3 coups de l'ajout de temps,
et mon adversaire remporte une victoire bien méritée. Une partie à
oublier pour ma part.
En revanche, au
premier échiquier, Mike fait des étincelles et met le feu à
l'échiquier. Il « sacrifie » un pion à l'aile dame
(mince, obligé d'ouvrir des lignes sur le roi adverse, c'est balot),
et alors que le matériel est égal, on se demande comment les blancs
peuvent survivre. Mike a tout simplement 7 pièces qui attaquent le
roi blanc, alors que les blancs n'ont pas esquissé le moindre coup
d'attaque. Il commence par faire pénétrer sa tour au fond de la
colonne a, puis introduit le fou en a2. Cela commence à se comprimer
sur une 1e rangée au bord de l'implosion, et après un joli F*e5,
imprenable par la dame blanche pour cause de Cd3+ ! La position
blanche vole en éclat. Mike rajoute une dame dans la bataille et
finit par percer en b1. Le roi blanc est totalement dénudé, et
l'armée adverse capitule. Une victoire flamboyante de notre
champion, dans son style si particulier et diablement efficace.
A l'approche du
contrôle de temps, Gammon a une position devenue écrasante. Au 40e
coup, son adversaire attaque un pion, et les noirs n'ont qu'à le
défendre avant de profiter de l'ajout de temps pour faire le point.
Las, au lieu de défendre simplement son pion, Gammon finasse et joue
l'échec intermédiaire. Grossière erreur qui lui fera perdre un
pion et une grande partie de son avantage écrasant. De complètement
gagnant, le voilà passé à un peu mieux. Une fois le choc encaissé,
il tentera vainement de progresser mais finira par se résoudre au
partage du point, scellant pratiquement le score du match en notre
faveur.
A ce moment du
match, il reste la partie de Nahid et celle de Bruno. Nous menons
3-1, et si Nahid peut éventuellement perdre, on voit mal comment
Bruno pourrait laisser échapper sa proie. Nahid choisit pourtant de
jouer avec nos nerfs. Dans une finale objectivement devenue égale,
les deux joueuses devant théoriquement répéter la position, elle
se trompe et laisse son adversaire sacrifier (pour la 3e fois dans la
partie) un poney sur un de ses pions ! On se retrouve alors dans
une finale cavalier contre 2 pions, avec de nombreuses possibilité
de nulles assez cocasses mais peu évidentes pour un œil non expert.
Nahid ne trouvera pas les ressources tactiques qui lui auraient
permis de résister, et se retrouve contrainte de laisser un des
pions aller à la promotion. Ironie du sort, alors que son adversaire
aura sacrifié par 3 fois ses poneys pendant la partie, c'est la
seule pièce qui restera à Nahid au moment où elle abandonne...
Et devinez qui
clôturera cette ronde ? El Salapado bien sûr ! Après
avoir brillamment transposé en finale, puis échangé les dames, le
voici dans une position avec fou et 3 Pions contre cavalier et un
pion. Théoriquement, il peut encore la perdre, mais il faudrait être
plus que coopératif. Fidèle à sa réputation, il choisira la route
la plus longue pour achever son adversaire, qui aura cru jusqu'au
bout à un sauvetage inespéré. Le cavalier noir est acculé en d8,
et le fou blanc bloque progressivement toutes ses cases de sorties.
Alors qu'il est sur le point de plier l'affaire, et que les noirs ont
déjà la tête inclinée, prêts à recevoir l'estocade, El Salapado
esquisse son large sourire carnassier et fixe intensément son
adversaire dans les yeux en poussant son pion en c6. La boîte est
refermée, le poney noir ne ressortira plus. Les blancs ont gagné.
Pas le temps
d'analyser, la route est encore longue, et on s'enfuit à peine la
feuille de match signée. Une très belle victoire face à une des
équipes favorites de la poule, qui nous met en confiance pour le
reste de la saison. Nos futurs adversaires sont avertis...
Le Collector