15/01/2013

Gambit Canal ou la Grande Clameur... à Paris !




Nous sommes le 13 janvier 2013 à 13h13, et déjà à la moitié de la saison aux abords de la 6e ronde. Rendez-vous dans le XVIe, au bout du bout de la ligne 9 (et Stahl extatique de battre pour la 2e fois de l’année son record personnel de stations sur une même ligne, après l’épopée cristolienne). C’est donc dans l’écrin du JEEN, petite salle cosy avec vue imprenable sur un joli parc déplumé par le froid hivernal, à l’abri des tumultes de la manif anti-mariage pour tous (forcément, tous les habitants du quartier y étaient), qu’allait se dérouler une des rondes les plus incompréhensibles de la saison, qui me rappellera au passage quelques madeleines personnelles. 8 tables de bridge avaient été apprêtées pour l’occasion (vous savez celles qui tremblotent au moindre mouvement, dixit le girondin relou). A côté, une salle d’analyse/blitz/étude ainsi que… une salle de babyfoot/ping-pong. Tout ça fleure bon la maison de quartier, d’autant que nos adversaires ont eu la gentillesse d’apporter les Kit Kat et le Banga. Pour un peu il y avait des bonbons Krema et on se croyait à un goûter d’anniversaire. Dans la salle de jeu, les manifestants du jour n’auraient pas été dépaysés. Entourés d’affiches pour des associations catholiques et d’ouvrages religieux, on en serait presque venus à se demander où était le bénitier. D’ailleurs la bibliothèque fut bien pratique, me permettant de piocher un Ancien testament comme sous-main, que Cap’tain Vince eut tôt fait de remplacer par un Notre Père de poche, plus pratique selon lui. 

                Allez, les présentations sont faites, place au jeu. Côté Canal, à peu près tout le monde est là. En face, l’équipe JEEN fait partie des favoris de la poule, et se tire la bourre avec Limeil pour la première place du groupe. Vu la déculottée prise face à Limeil, on va dire qu’on se méfie, même si sur le papier on est loin d’être ridicules. Et puis, on a sorti notre arme secrète. Les amis, en exclusivité, je vous présente le Gambit Canal !!! Alors certes, les mauvaises langues diront que c’est pas fait exprès, qu’on l’a pas annoncé donc ça compte pas etc, etc… N’empêche que. Dès les premiers instants du match, on attaque l’instant Côté Viande. A ma gauche, Jack affronte Lutz, un adversaire assez imprévisible, adepte des débuts atypiques et à l’affût de la moindre joute tactique. Notre champion adopte un système classique face à l’ouverture originale des blancs : on dirait un peu une spéciale Manouk en mode agressif (amis des oxymorons bonsoir). L’air de rien, les blancs affaiblissent les cases noires noires, et alors que le fou noir noir s’échange avec le fou noir blanc (non allez sérieux, suivez un peu), Jack perd pieds et pièce et trépasse. 16 coups, 0-1, le canal gambite son premier pion. 10 minutes plus tard, à ma droite cette-fois, je vois Alban se prendre la tête dans les mains dès le 5e coup. Avec les blancs, embarqué dans une sorte de Jaenish sans le fou en b5 (pas commun pour un des joueurs les plus solides de l’équipe), Alban se concentre du mieux qu’il peut et… se plante en beauté. Alors que je regarde, à la fois admiratif et dubitatif, ce style flamboyant, le poney sacrifié ne fait quant à lui pas le malin, et espère secrètement que les noirs vont prendre peur face à la menace fantôme. Que n’hennit, les noirs embrochent les deux canassons sans coup férir, et Alban capitule 2 coups plus tard, sonné par cette défaite cuisante. Il nous révèlera juste après avoir oublié sa prépa à partir du 5e coup. Il nous promet de reprendre les bases, et ne se préparera que jusqu’au 4e coup pour la prochaine ronde. 10, coups, 0-2. 2e pion du gambit, ça y est, la partie commence vraiment, il est temps de faire le point !

                Au 2e échiquier, Mike s’essaie à de nouvelles idées. Lui qui se demandait déjà ce qu’il pourrait bien jouer au 2e coup (note pour Alban : même les 2300 ne sont parfois pas préparés au-delà du 1er coup, ne grille pas les étapes), il joue un système un peu hybride, et les deux camps s’affairent de leur côté sans trop de soucier des manigances de l’adversaire. Alors qu’on commençait lentement à s’assoupir, Mike décide de faire diversion. Ch4, puis… Ca4 (pas le même, c’est illégal) ! Ni une ni deux, comme dans les livres les noirs réagissent au centre. Les deux fous s’échangent contre les poneys virevoltants, et la position a l’air égale. 

Au 3e, j’ai les noirs contre un adversaire dont le nom m’est familier. Et pour cause, on s’est côtoyés pendant 3 ans aux championnats de France jeune ! On a gardé les mêmes contacts échiquéen aujourd’hui, mais sans jamais se croiser (certes, vous vous en foutez mais c’est fou nan ? Hein ? Nan ? Bon, ok je passe alors). C’est maintenant chose faite, mais trêve de plaisanteries, pour survivre dans un Gambit Canal il faut envoyer la sauce, sinon c’est la bulle assurée. Je joue un début plutôt rampant, mais avec mes schémas bien en tête. Bien que ne jouant qu’avec 3 pièces depuis le début et avec mon roi au centre, la partie est relativement équilibrée (et heureusement fermée). Néanmoins, à la moindre occasion, les blancs seront prêts à me sauter à la gorge. Le zeit not approche, et tout risque de péter d’un instant à l’autre.
Au 5e, Magic Max nous a joué un tour de passe-passe dont il a le secret. Après une ouverture tout à fait classique, il est temps de commencer à jouer et Maxime entame donc une attaque discrète à l’aile roi. Jusque-là rien d’anormal. Mais après mûre réflexion, quelque chose me chafouine. Il semble manquer une pièce aux noirs. J’en informe donc le capitaine, car peut-être Maxime a-t-il débuté la partie en déficit de matériel sans s’en rendre compte ? Eh bien non, sans croûter le moindre pion et en n’altérant d’aucune manière la position blanche, Maxime a selon ses dires « sacrifié » un cavalier. Alors, personnellement, j’appelle ça « donner », mais on n’est pas là pour faire de la linguistique. Malheureusement, avec une pièce nette en moins, l’issue de cette partie ne fera rapidement plus de doute. 

Au 6e, Alexandre Le Grand, fraîchement promu d’un échiquier, tente de réfuter le traitement un peu passif de l’Alekhine de son adversaire. Bizarrement, il échange donc ses pièces actives contre l’horrible fou blanc des noirs, trop heureux de régler leurs problèmes d’ouverture à si peu de frais. L’ami Fritz sorti dans le métro quelques heures après la rencontre (sinon ça aussi c’est illégal, mais nous on est à cheval sur mon bidet avec la loi, au Canal) lui donnera les bonnes répliques, mais trop tard. Dans une position assez déséquilibrée, avec une énorme majorité à l’aile dame pour les blancs mais des relents de gruyère sur cases blanches, les noirs font virevolter leur poney et créent rapidement des menaces à l’aile roi. Confiant jusqu’au bout, Alexandre finira par malheureusement tomber au combat et à la pendule. Dure défaite, mélange de mauvaise évaluation de la position et de bonne répartie de l’adversaire. Gageons que le moral de notre guerrier ne sera nullement atteint et qu’il reviendra plus conquérant que jamais au prochain match !

Au 7e, Pilou nous semble d’emblée plus à l’aise que son adversaire. Terrifiés à l’idée d’affronter le dragon canaliste, les blancs entrent dans une finale sans plus. Après avoir pris soin de saccager la structure blanche, le bal des pièces légères noires peut commencer. Avec un jeu de jambes à la Ronaldo, Pilou virevolte, louvoie, feinte, et les blancs détériorent lentement leur position, se fourvoyant dans des plans vains. On est rapidement confiants sur cette partie, mais c’est bien le seul rayon de soleil du match (et du jour).
Enfin, au 8e, Marianne a le couteau entre les dents. Ça tombe bien, son adversaire aussi. Les deux joueuses décident rapidement d’attaquer à l’aile roi, ça promet un beau feu d’artifice. Avec un jeu précis, les blancs semblent d’ailleurs lentement prendre l’avantage, grâce à de petits détails comme les faiblesses sur cases blanches ou la paire de fou. Les noirs tiennent bon grâce à leur dynamique de pièce, et il faut des nerfs d’acier pour garder la tension dans cette position où l’avantage peut basculer d’un instant à l’autre.

Après ce tour d’horizon, la donne est donc simple. Menés 2-0, avec une partie où on joue avec une pièce en moins, il va falloir s’employer pour aller chercher le match nul ou même éviter de repartir fanny. D’autant qu’on a un public. Arrivé presque au coup d’envoi, Stahl analyse toutes les parties juste à côté. Il est bientôt rejoint par Bébé Woody, exempté d’arbitrage pour cette ronde et bien content de regarder les matchs en simple spectateur. Et last but not least, Cuir et Martinet nous a fait l’honneur de nous rendre visite. Peu au fait des règles en Nationale (et aux échecs en général d’ailleurs, enfin j’me comprends), il faudra toute la diplomatie et la pédagogie de Cap’tain Vince pour l’empêcher de souffler les coups à ses camarades. Un Cap’tain Vince qu’on a senti désabusé face à la déroute de son équipe, et qui rapidement a donné pour consigne de régaler l’audience en envoyant du beau jeu, faute d’un espoir quelconque de ramener des points du XVIe.

D’ailleurs, l’issue du match ne fait plus aucun doute. Alors qu’il continue de jouer gaiement avec sa pièce en moins, Maxime finit par reconnaître que ça fait quand même beaucoup, et capitule. 4-0. Heureusement, Pilou fait le boulot et finit par percer grâce à sa meilleure structure et son meilleur fou. Premier point pour l’équipe, c’est toujours ça de pris. Afin d’assurer le gain du match, l’adversaire de Marianne joue pour la nulle, et malgré son pion de moins, les fous de couleurs opposées et les courants d’air autour du roi blanc empêchent tout refuge au roi blanc. De nouveau une bonne nulle pour Vénus Annulatus. Il manque peu de choses pour que les gains s’enchaînent, c’est tout ce qu’on lui souhaite !

Il reste donc deux parties, celle de Mike et la mienne. Pris dans un zeit not endiablé, je n’ai pas vraiment le temps de voir ce qu’il se passe sur l’échiquier d’à côté. Je sais juste que le match est plié, et que je joue pour moi. Il nous reste environ 12 coups à jouer, et déjà à peine plus de l’incrément pour réfléchir. Lassés de ne pas trouver la faille dans le système des noirs, les blancs décident de dynamiter le jeu et poussent f4. Et en un instant, c’est le bordel absolu. Les pions volent, on boxe la pendule, le stylo qui marche plus, les coups joués avec 5 secondes… Impossible de calculer toutes les lignes avec 30 secondes de réflexion par coup. J’ai juste l’impression d’être mieux (avec quelques pions dans la besace, ça aide), et j’essaie de ne pas dilapider mon avantage avant le 40e coup. Evidemment, la bête m’a traité de grosse buse en analysant ma partie, pointant d’un rond rouge mes coups à +5 au lieu de +9, mais l’essentiel est là. J’atteins la rive avec 2 pions de plus et un roi à l’abri. 

De son côté, Mike a dû marabouter son adversaire. Je ne vois que ça. Parti d’une position que je jugeais resserrée et plutôt difficile, le voilà après le zeit not avec une qualité de plus, tentant de forcer la serrure noire. Le plan paraît simple, mais il n’y en a qu’un. Pour essayer de gagner, il faut rendre la qualité. Ce sera rapidement chose faite, mais le fou blanc est tellement mauvais que les noirs tiennent. Nulle.

Dernière partie de la journée, je finis par faire voler en éclat le roque blanc, pensant mettre un terme à cette partie folle. Mais mon adversaire sort un coup du chapeau. Td8 ! Rh7 Th8 !! R*h8 D*b2+. Vous ne comprenez rien et c’est normal, mais partis d’une position complètement perdue les blancs reprennent un mince espoir. Heureusement, les dieux étaient avec moi. Après D*b2+, f6 est évalué +9 et Rh7 à +2. Je choisis le second, mais mon adversaire faute au coup suivant. Une victoire qui fait plaisir, même si elle n’aura pas servi à grand-chose à l’équipe.

Au final, le Canal s’incline donc 4-2 face à une belle équipe du JEEN. On regrettera l’ouverture peut-être un poil trop agressive du Gambit Canal, et le fait d’avoir prévenu Maxime trop tard que les deux pions avaient déjà été sacrifiés et qu’il n’était nul besoin d’en lâcher un 3e. Comme pour se faire pardonner, la soirée s’est ensuite terminée gaiment dans un resto que lui seul pouvait nous faire découvrir (enfin je dis nous… je parle d’après les dires des valeureux qui ont participé aux agapes dionysiennes d’après-match), avec force charcuteries, vineries et fromageries, un endroit qui pourrait bien devenir un repaire de troisième mi-temps !

Allez à plus, c’est pas tout ça mais faudrait voir à préparer un peu mieux le prochain match…

Le Girondin

1 commentaire :

Jean DÉPRIME-LANUY a dit…

Alban... mon maître à penser, ma boussole sur l'échiquier... 1-0 en 10 coups, mais quel mal lui ont fait les poneys ?
je recherche un nouveau guide spirituel (déposer CV + LM avant le 31/01/2013), merci.