En direct du multiplex Canal Saint Martin, je vous retrouve
pour une longue après-midi de sport. Avec pas moins de 4 équipes canalistes
engagées + les supporters (soit 70 à 80 personnes aux heures de pointe), c’est
une véritable orgie échiquéenne qui s’annonce dans le 12e, où
pratiquement tout le club s’est réuni. L’équipe 1 joue contre Orléans, candidat
sérieux mais non consentant à la descente cette année, et qui aligne pour
l’occasion une équipe finalement pas si différente de la nôtre bien que nous
partions favoris. Seuls les deux derniers échiquiers sont vraiment
déséquilibrés, ce qui met direct la pression sur nos jeunes talents, Pilou et
Marianne, pour scorer. La moitié de l’équipe 2 joue dans notre salle, l’autre
moitié étant placée dans la salle attenante avec l’équipe 3 du Canal. L’équipe
4 ne participera que sporadiquement à la fête, hélas contrainte de combattre au
sous-sol.
Bébé Woody est en grande forme, et accueille
chaleureusement tous les participants. Pour ma part, je découvre, en arrivant à
l’heure pour la première fois depuis… Depuis… Eh bien pour la première fois
tout court tiens, je découvre donc, disais-je, que toutes les (32) tables sont
mises, les pendules réglées, que l’alcool coule déjà à flots (dans les gobelets
des observateurs uniquement, hein), et que les feuilles de match sont
pré-remplies même si notre capitaine arrive tout juste. Ça c’est de
l’organisation, ça c’est de la passion, ça c’est notre président. Merci à toi
Bébé Woody :).
Au début de la ronde, nous ne faisons donc pas les fiers
dans la poule Nord-Ouest, et nos adversaires du jour non plus. C’est donc un
combat à mort qui nous attend, entre deux équipes qui savent que chaque point
les éloigne un peu plus des portes de l’enfer… Allez hop, les noirs appuient.
Dès les premiers coups les parties prennent des chemins très (parfois trop)
divers, et sortent rapidement des sentiers battus. A vrai dire, une fois n’est
pas coutume, je dois bien être le seul à avoir une ouverture encore répertoriée
à l’orée du 10e coup. Ce dimanche 27 voyez-vous, c’est donc ambiance Canal Underground. Get the full
point, or die tryin’… Et dans cette lutte acharnée pour sauver notre âme, il ne
fallait pas moins qu’une équipe de héros. Que dis-je, une équipe de superhéros…
C’est maintenant l’heure du CR aux superpouvoirs…
Comment commencer autrement que par la partie de MikaThor.
Force brute, mental d’acier, et une ouverture fétiche en guise de marteau. Une
fois encore, une démonstration du roc de l’équipe. Imaginez la scène. Vous avez
les blancs, vous êtes d’humeur pacifique et vous ne voulez pas trop vous
découvrir. d4, Cf3, b3… Vous aimeriez bien ne pas avoir à jouer vos pièces tant
leur position initiale vous semble optimale, esthétiquement parfaite. Vous
l’auriez bien encore contemplé quelques coups, cette joyeuse armée qui ne
demande qu’à s’épanouir sur deux rangées. Mais en face, votre adversaire vous
veut du mal. Beaucoup de mal. En 4 coups (véridique !), les noirs passent
à l’attaque frontale. Même Apple n’a encore jamais mis au point un truc aussi
efficace. Surpris par tant de haine, assiégés par un fou et un valeureux poney,
les blancs paniquent immédiatement et dispersent leur troupeau aux quatre vents
en h4 et a3. *Target acquired*. Ne perdant pas de vue son objectif, Mikathor
envoie les missiles. g5, g*h4, h*g3 BOOM ! La bête est chancelante.
Assoiffés de sang, les noirs ne prêtent nullement attention aux velléités
défensives des blancs. c3 attaque le Cb4. Quoi ? Tu m’attaques mon
poney ? BEN VAS-Y, MANGE-LE SI T’ES UN HOMME ! Même pas cap. La
guerre psychologique n’impressionne pas un homme comme Mikathor qui ne connaît
pas la peur mais sait la lire dans le regard de son adversaire, la sentir dans
un geste peu assuré. Pantelants, les blancs tentent de se regrouper. Ils
titubent, sonnés par les coups de massue, développent une pièce… mais pas deux.
Alors que le fou noir se poste en d6, préparant l’assaut final, les blancs
défendent leur pion en g3 par Th3. Erreur, une pièce seule ne peut contenir la fougue scandinave. F*g3 quand
même, BOOM ! Ne s’apercevant que trop tard qu’un T*g3 ne ferait
qu’augmenter leur souffrance, les blancs abdiquent. 16 coups d’une précision
chirurgicale, et d’une détermination sans faille. Mais les blancs sont heureux.
Enfin, ils peuvent ranger leur armée, et retrouver la paix intérieure…
A ma gauche se déroulait un tout autre combat. Flashtahl,
le super-héros d’Alsace, ne compte pas en rester là. Il n’est pas né celui qui
terminera une partie plus vite que lui. Mais comment faire ? Alors qu’au 2e
échiquier Mikathor matraque son adversaire, que faire pour achever sa partie encore
plus vite ? Une seule solution, le mat aidé. Si ton adversaire ne peut
mater par ses propres moyens, quelques coups de pouce du destin devraient suffire.
1/ Commencer par une ouverture un peu unsound ne peut qu’apporter des ennuis et
mettre l’adversaire en confiance, faisant d’une pierre deux coups. Les noirs se
retrouvent donc rapidement dans une position étriquée ou la faille tactique
sera facile à créer. 2/ Ne pouvant donner la dame en un coup sans éveiller les
soupçons, passer en mode étourderie. D*b7 et la tour a8 se sent bien seule. 3/
Faire croire à tout le monde qu’on ne l’avait pas vu, qu’on ne se souvenait
plus que la dame pouvait bouger de plusieurs cases à la fois, ou que
l’adversaire ne vous a pas laissé reprendre votre dernier coup et que vraiment
c’est pas cool. A ce moment-là, vous avez déjà bien sabordé votre partie, mais
vous sentez que l’adversaire de Mikathor n’en a plus pour longtemps avant de
capituler. Du coup, il ne reste plus qu’une solution, celle de la dernière
chance. 4/ Le tout pour le tout. Le n’importe quoi. Dans une position déjà
évaluée à -23.4 (ou éventuellement #16) par Houdini, faire mine de croire que
votre adversaire est une buse et vous donne sa dame en deux coups, afin de
jouer l’étonnement lorsqu’au 15e coup il annonce 15.Cg5 mat !
Alors bravo. Bravo Flashtahl, pour cette performance. Certes on commence à
avoir l’habitude des parties qui finissent en moins de 16 coups au Canal, mais
là pour le mat à l’étouffée avec pratiquement toutes les pièces sur
l’échiquier, je dis chapeau l’artiste !
Déjà passé par toutes les couleurs entre le froid réalisme
de la partie de Mikathor et le surréalisme de la partie de Flashtahl, Captain
Vince America commence alors à compter les points et à évaluer les parties de
chacun. Et au bout d’une heure, ça se présente plutôt bien.
Au premier échiquier, Iron Manouk affronte le champion
adverse. Il a pour mission de contenir l’est-indienne adverse et se débrouille
bien. Dans une configuration légèrement différente de d’habitude, il grignote
peu à peu les cases noires de l’aile dame. Il se permet même quelques
pirouettes dont un g4 qui semble sorti de nulle part, mais finit par totalement
désorganiser la position noire. Afin de ne pas perdre une qualité, son
adversaire accepte de détériorer sa structure. Chacun a des faiblesses, mais on
sait que Manouk aime ces positions avec un petit avantage. On est confiants pour
lui.
Au 3e, BatMarc, le justicier de la théorie, joue
une ouverture assez classique, mais se fait surprendre par un coup… Tout à fait
classique. Perturbé de ne pas l’avoir envisagé à ce moment de la partie, il
réfléchit donc 40min pour… faire le bon choix, mais persuadé d’avoir alors
dégradé sa position… Alors qu’en fait pas du tout. Quelques coups plus tard,
sur une imprécision noire, il prendra même un bel avantage, bien que
l’équilibre matériel reste intact. Captain Vince America est confiant là aussi,
tout va bien.
Au 5e échiquier, c’est notre joueur le plus
undergound qui opère. Lorenzo LaMax, le Rebelle de l’équipe, ne fait rien comme
tout le monde. Nonobstant son appétence pour les ouvertures décalées, il
parvient par son développement atypique à obtenir une belle initiative. On
retiendra notamment l’idée singulière de
venir défendre le pion d4 par la manœuvre h4-Th3-Td3 et le choix de ne pas
roquer pour envoyer la sauce sur le 0-0-0 noir. Un sacrifice de pion sur la
colonne b plus tard et voilà les blancs sur orbite, le Ca8 faisant pâle figure
face aux pièces lourdes pointées sur le monarque. Un point facile, pense-t-on
alors naïvement.
Dans toute équipe de super-héros, il faut un anti-héros. Un
spiderman avant la morsure d’araignée, un Bruce Banner avant la découverte des
rayons gamma. Au 6e échiquier, je vous présente donc Albanderrick,
qui aura presque assoupi l’assistance pendant sa partie, n’eut été l’importance
capitale de son issue. Car en effet, qu’il fut dur de s’emballer pour ce
spectacle. Une ouverture symétrique, un matériel symétrique, un timing
symétrique, et même une coiffure symétrique… On aurait dit Tom Hanks jouant
contre la table de ping pong dans Forest Gump. Un jeu en parfait miroir.
Suivant son bonhomme de chemin, l’inspecteur continuera pourtant de chercher la
faille, tentant de rompre la monotonie de la partition. Il y parviendra bien
malgré lui, perdant par je ne sais quel miracle le fil du jeu et se retrouvant
en finale avec une qualité de moins pour un pion. Mais s’il y a une qualité
qu’il faut reconnaître à l’inspecteur Albanderrick, c’est son opiniâtreté.
Fidèle à lui-même, et grâce à un traitement dynamique tout en contrôle de cette
finale mal embarquée, il parviendra à tirer le demi-point à son adversaire qui
aurait quand même pu pousser le bouchon un peu plus loin. Sans doute aura-t-il
été quelque peu hypnotisé par la cadence métronomique de notre anti-héros. Sans
surprise, comme le dénouement d’un épisode de la série éponyme, match nul,
donc.
Au 7e échiquier, Brollverine doit gagner. Il le
sait, il le sent, mais la pression, pour autant qu’elle ne soit pas assortie
d’un Picon, n’a pas d’emprise sur lui. Dès l’entame, il sort donc ses griffes.
Une en b4, une en d4, et voilà les noirs pris dans un étau à l’aile dame. Ils
ont eu une chance de sortir leurs pièces, ils n’en auront pas deux. Une fois le
sort de l’aile ouest réglé, les blancs s’attaquent au cœur de la meule. Les
poneys redéployés vers le petit roque, et les fous braqués vers h6 et h7. A la
moindre occasion, les blancs sont prêts à déchirer la carcasse noire. On est
confiants pour Brollverine, qui réchauffé par sa folle soirée de la veille fait
admirer son pelage avec sa chemise ouverte jusqu’au nombril. Son côté Beigbeder
me glissera Captain Vince America… Qu’importe, je ne sais pas comment tout ça
s’est terminé, toujours est-il qu’après l’affaiblissement du roque noir ceux-ci
n’ont pas fait un pli et ça fait 2-1 pour nous.
Au 8e, WonderMarianne s’inspire un peu trop
d’Albanderrick et symétrise la position. Face à une adversaire moins
expérimentée, on lui fait néanmoins confiance pour concrétiser dans le
money-time. Un pseudo sacrifice et puis
s’en va, elle transpose en finale avec un puis deux pions d’avance et fait
tranquillement ployer son adversaire. Une victoire au métier, une victoire
propre, WonderMarianne a répondu présent, comme toujours.
Si vous avez bien compté, ça fait donc maintenant 3-1 pour
le Canal. Iron Manouk s’enquiert alors du score auprès de Captain Vince
America, qui ne sait plus où il en est. Trop d’émotions. Trop d’incompréhension
face à une armée dont il ne soupçonnait pas jusqu’alors la noirceur d’esprit. Il
ne reste plus que la partie de Lorenzo Lamax, BatMarc et Iron Manouk.
Alors qu’il avait la partie bien en main, le Rebelle décide
qu’il n’est pas question de l’emporter sous prétexte qu’il a une position
écrasante. Il sacrifie donc une pièce puis une qualité (ce qui en langage
mathématique égale une tour nette), et détruit toute trace d’avantage. Il
poussera la rébellion jusqu’à perdre cette partie, au bonheur de son adversaire
qui a prié pour la nulle pendant presque toute la partie.
On est donc à 3-2, et nous avons une bonne position sur les
deux dernières parties en cours au 1 et au 3.
Après un zeitnot d’une quinzaine de coups, BatMarc finit
par transposer dans une finale qu’il pense gagnante au lieu de gagner un petit
pion dans les complications avec une fin de partie plus facile. Hélas, malgré
un pion passé pour les blancs et un pion doublé pour les noirs, la position
n’offre aucune possibilité de percer. Les noirs, qui doivent l’emporter, ne
peuvent qu’espérer que les blancs forceront le gain, ce que BatMarc se gardera
bien de faire.
Iron Manouk, de son côté, a réussi à tirer la substantifique
moelle d’une finale qui ne semblait pas folichonne avec une seule colonne
ouverte et de plus contrôlée par les noirs. Il joue une finale T+pions contre
T+pions avec un pion de plus, et n’a pour seule consigne que de ne pas laisser
échapper la nulle. Après une transposition dans une position T+pion h+pion f
contre T+ pion h, il tentera de pousser son adversaire à la faute, mais pas
très longtemps. Nulle.
Canal 1 remporte donc son match 3-2, et pointe désormais à
la 4e place de la poule. Une place plus que bancale, d’une part car
nous serons exempts lors d’un match à venir, d’autre part car les poursuivants
nous collent au train. Mais ne boudons pas notre plaisir, on a gagné, et c’est
bien l’essentiel.
De son côté Canal 2 s’est fait surprendre par Bagneux, dure
défaite dans un match pourtant équilibré sur papier. Sur les premières tables,
la créativité des canalistes n’a pas été récompensée. Canal 3 s’est en revanche
imposée, tout comme Canal 4. On félicite Petitjean au passage, qui signe une
belle nulle contre un 1750, et qui peut-être un jour rejoindra la ligue des
justiciers canalistes…
Rendez-vous dans deux semaines, et d’ici là, surtout… Soyez
bons.
Le Girondin