18/04/2014

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Philippe Pierlot raconte :
SINGERIES


La partie d'échecs la plus incroyable qu'il m'ait été donné de disputer est peut-être celle que j'ai jouée un soir de l'an 2000, contre un certain Jean-Luc M, au club de Carrière sur Seine.
En cette année de fin du monde, il n'était pas rare de relever partout des éléments bizarres, ou de se croire impliqué dans quelque chaos où l'on sautait à pieds joints. C'est ce qui m'est arrivé lors de la partie que je vais vous raconter ici.
Aux échecs, notamment en compétition, je suis plutôt d'un genre prudent, qui m'est dicté par une lenteur intellectuelle naturelle à calculer combien un gros arbre a de ramifications. Il ne serait pas avisé, en ce qui me concerne de m'élancer de branche en branche, tel un jeune gibbon maîtrisant l'art de la pirouette scabreuse. Je suis davantage du genre gorille au sol, ou alors sur des troncs pouvant supporter mes compétences de primate.
Mais bon, comme je vous l'ai dit, on était en l'an 2000. Ceux qui sont nés après cette année-là ne peuvent pas connaître l'état d'esprit qui pouvait régner dans certaines situations, et la folie passagère de ceux qui sont morts de nombreuses fois avant cette date tellement on le leur avait promis... Tout, après ce terrible passage ressemblait à un sursis, on s'en donnait donc à cœur joie.
Alors il faut comprendre, me pardonner d'avoir joué ce jour-là un peu contre nature, à contre-jour, mais pas à contresens. Mon adversaire, que je connaissais déjà un peu était un type très sympathique, vif et d'un grand dynamisme. Plus du genre ouistiti malin. Une opposition de styles qui s'annonçait palpitante, avec en perspective l'un qui prendrait les bananes de l'autre.
Quand on me joue le pion du King Louis, j'ai l'impression qu'on me jette une cacahuète, et je ne peux m'empêcher d'inventer une guenon Louise en jouant le pion de ma Dame, ça s'appelle la défense scandinave. C'est un début asymétrique qui donne plutôt des parties spectaculaires. Mais, moi, j'aime bien vite revenir dans ma base et vers un style plus prudent et plus chaloupé.
Ce n'est pas ce qui s'est passé. Pour des raisons de circonstances de l'an 2000 sans doute, je suis sorti du couvert pour me précipiter dans un monde sauvage qui ne m'était pas familier. La partie a vite pris une tournure fantaisiste, devenant une jungle touffue, les singes hurleurs en moins. Mais je m'en suis bien tiré. Pas de faute de branche. Et comme je n'aime pas tellement me faire stresser la liane outre mesure lors d'une partie de compétition, j'anticipe et j'essaie de gérer au mieux mon temps de suspension afin de ne pas tomber par terre en "zeitnot". Vous savez, c'est la fameuse crise de temps, quand la situation en est au paroxysme de la complication et que la pendule en est au compte à rebours...
Saignante comme un combat de mandrills, la partie ne divulguait pas beaucoup d'indices laissant entrevoir qui serait le roi de la jungle. Chacun des protagonistes alternait le génie et la misère. Nous oscillions entre un travail d'orfèvre et un travail de sagouin. Alors dans ce cas, comment repérer le futur vainqueur ? Difficile. On avait l'impression que c'était celui qui venait de jouer. Ça changeait tout le temps.
Plus notre histoire boisée avançait, plus une certaine nervosité s'installait dans l'atmosphère tropicale. A une quinzaine de coups de la limite de temps (on doit en jouer 40 en moins de 2 heures), et alors qu'il ne me restait que 15 minutes contre 5 petites minutes à mon adversaire, je pris la décision de tenter de lui faire perdre l'équilibre en jouant par rafales de coups. Malin comme un singe, je voulais jouer 3 coups compliqués très vite, puis prendre un peu de temps, et recommencer. Je ne suis pas extrêmement sûr d'avoir exactement compris toutes mes actions, mais ceci se révéla excellent, puisque mon adversaire accéda malgré lui à de profondes et anxieuses réflexions extrayant chez lui une nature surexcitée.
La partie, devenue folle, partit dans tous les sens, il ne restait plus à chacun d'entre nous que quelques minutes pour jouer une dizaine de coups. Ce n'était plus le temps de la compréhension mais de l'intuition. Il fallait avoir le nez du nasique. Nous frappions maintenant les pièces et la pendule à la vitesse d'un éclair pas toujours très lumineux. Il ne fallait pas que le petit drapeau rouge qui s'agitait, soulevé par une aiguille trop rapide ne retombe, car cela signifiait : plus de temps - c'est perdu !
A un moment, mon adversaire, dans un geste simiesque, frappa si fort l'horloge que cette dernière chavira et heurta les pièces à proximité, qui elles-mêmes, telles des dominos envoyèrent leurs semblables un peu partout autour de la table. Pause ! La partie s'interrompit un instant et nous partîmes à quatre mains et à quatre pattes à la recherche des éléments éparpillés un peu partout, sur la table et sur le sol. On reconstitua la position et la partie reprit frénétiquement. Puis, les quarante coups dépassés, nous fîmes le bilan après la tempête. Il était évident que je m'en étais tiré bien mieux, puisqu'à la clarté d'une trouée végétale, il ressortait que l'issue de notre rencontre n'était plus désormais qu'une simple formalité. Quelques instants plus tard, mon adversaire abandonna, dépourvu de tout espoir.
Ce fut un "ouf " moite pour moi, mais aussi pour lui je crois. Nous avions fourni bien des efforts et il faut reconnaître que tout le monde n'est pas à l'aise dans la vie arboricole. L'épreuve que nous venions de vivre, saupoudrée de la sportivité de mon adversaire, nous rapprocha de la table d'analyse où nous fîmes de sacrées découvertes.
En examinant de près la partie, nous remarquâmes qu'au plus intense de l'agitation crépusculaire de nos échanges sauvages, j'avais loupé un échec et mat simple. Au coup suivant, mon adversaire colmata la brèche, juste avant, encore tout suintant de l'émotion de celui qui s'en était sorti par miracle, de manquer à son tour le chapardage d'une de mes pièces !
Enfin, nous ne comprîmes pas pourquoi, en fin de partie, il avait totalement oublié d'avancer un véritable pion candidat à sa transformation en Dame ! Mais ce pion, il n'était pas sur le plateau au moment de l'abandon ! Soudain, nous comprîmes... C'était incroyable ! Le petit coquin de bois était resté dissimulé sous une armoire. Il n'était pas remonté sur l'échiquier lors de la reconstitution de la position. Et personne n'avait remarqué son absence par la suite. Nous avions tout bonnement oublié de replacer ce pion qui aurait sans doute changé le déroulement du jeu. Une bonne obole !
 
Voilà l'histoire....
Cette folle partie de quadrumanes à plus d'un titre m'aura enseigné plusieurs choses :
- On peut rester calme au milieu des branches comme un orang-outang.
- La fin du monde du type "la planète des singes" n'était pas pour tout de suite, même en la sollicitant avec force gesticulations.
- Ce n'est pas à un vieux chimpanzé qu'on apprend à manger des termites.

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